dans les forêts de Sibérie Sylvain Tesson
Lecture

Dans les forêts de Sibérie, Sylvain Tesson

Lorsque j’ai su que les écoles allaient fermer, un vague pressentiment m’a soufflé que les bibliothèques pourraient bien leur emboîter le pas rapidement. J’ai donc pris mon petit sac pour aller faire une razzia de quelques livres, au cas-où, pour les semaines à venir.

J’avais entendu parler de l’essai de Sylvain Tesson, « Dans les forêts de Sibérie », que je ne pensais pas si ancien. Son titre mystérieux qui souffle un air vif et glacial, m’a intriguée. Je l’ai mis dans ma pile et suis partie confiner. Je l’ai rouvert il y a quelques jours, et vraiment : ce livre est une révélation. Il me semble difficile de trouver une lecture plus appropriée que celle-ci, dans les circonstances que nous vivons actuellement.

Sylvain Tesson, adepte des voyages en solitaire ou en conditions extrêmes – il a traversé l’Himalaya à pieds et les steppes d’Asie centrale à cheval sur plus de trois milles kilomètres- est parti vivre six mois dans une cabane de dix mètres carrés, en Sibérie, au bord du lac Baïkal, pris dans les glaces neuf mois par an. Il y raconte son expérience de la solitude, du vide, de la contemplation, par moins trente degrés.

carte lac baïkal

Parti avec une malle de livres, une autre de vivres, de cigares et de vodka, il retourne à des occupations simples : couper son bois, regarder la neige tomber, contempler le coucher de soleil et les couleurs mouvantes de la glace sur le lac, écrire, lire, observer les oiseaux, ne penser à rien…

Comment vit-on quand on est seul face à ses pensées, sans internet, sans téléphone, sans courrier, le plus proche voisin à 5 heures de marche dans la neige ? Comment alimente t’on sa pensée, ses réflexions, sans autre carburant que ce que l’on a sous les yeux ?

Sylvain Tesson raconte son ralentissement progressif, une fois l’activité un peu maniaque du début évacuée : une fois ses malles rangées, sa cabane briquée, réparée, ses réserves de bois faites, il s’abandonne à ce que la vie lui offre et fait corps avec son environnement.

Bien sûr, contrairement à nous qui sommes confinés, il était libre de sortir. Mais par -30°C, les sorties sont courtes. Le lac est d’une surprenante beauté, mais menaçante. Comme pour nous, sortir peut signifier mourir, perdu dans la neige ou croqué par un ours. La cabane devient alors un refuge contre le mal, un retour au ventre maternel, chaud, douillet, propice au bonheur, sécurisant en même temps qu’elle est limitante.

Au-delà de l’enfermement subi ou choisi, ce livre explore le pouvoir de l’imagination et de la contemplation, de la possibilité d’alimenter notre réflexion par autre chose que l’agitation qui régit habituellement nos vies.

« S’asseoir devant la fenêtre, laisser infuser les heures, offrir au paysage de décliner ses nuances, ne plus penser à rien et soudain saisir l’idée qui passe, la jeter sur un carnet de note. Usage de la fenêtre : inviter la beauté à entrer et laisser l’inspiration sortir ».

« A Paris, je ne m’étais jamais trop penché sur mes états intérieurs. Je ne trouvais pas la vie faite pour tenir les relevés sismographiques de l’âme. Ici, dans le silence aveugle, j’ai le temps de percevoir les nuances de ma tectonique propre. Une question se pose à l’ermite : peut-on se supporter soi-même ? »

C’est bien là la question cruciale de la solitude : est-on capable de se supporter, d’être seul face à ses pensées, d’exister par et pour soi-même et non par ceux que nous croisons au cours de notre vie ?

Ce livre m’a tellement plu, que j’ai fait une entorse à mes principes anti-Amazon pour le commander. Il mérite sa place dans l’étagère des ouvrages que l’on relit de temps à autre, et dont on s’accorde le droit de corner les pages et de surligner des passages.

J’aurais même envie de faire comme lui. L’homme qui partage ma vie m’objecte, rigolard, qu’ayant déjà froid au ski par moins cing degrés, il doute de ma capacité à survivre au bord du lac Baïkal. Admettons. A défaut de partir en vrai, j’ai glané dans les forêts sibériennes de Sylvain Tesson un peu d’air frais et d’horizons piquants, ainsi que quelques lectures complémentaires sur le thème de la solitude choisie et de l’introspection.

« Dans les forêts de Sibérie », aux Éditions Gallimard et Folio poche. Prix Médicis de l’essai 2011.

« Dans les forêts de Sibérie » a été adapté en film, avec Raphaël Personnaz.

Une BD a également été publiée chez Casterman (dessins de Virgile Dureuil).

Il faut absolument que tout le monde le sache ! je partage :

22 commentaires

    • Petitsruisseauxgrandesrivières

      Quel heureux hasard ! Dis-moi donc ce que tu as d’autre dans ta pile à lire ?

    • Petitsruisseauxgrandesrivières

      Oui, c’est un vaste confinement, mais confinement quand même ! Nous sommes des petits joueurs à côté 🙂

  • GRM

    Bravo… j’admire ta faculté à pouvoir te concentrer sur une lecture de survie dans la solitude du froid alors que tu es entourée jour et nuit de Chaton, Lapin, ton ado + ta moitié, confinée avec tant de questions et de solutions à trouver pour que votre quotidien ne tourne pas au cauchemar 🤔👏🥰🍀
    Prenez bien soin de vous tous, on en sortira tous grandis 🤩

    • Petitsruisseauxgrandesrivières

      Merci <3 je n'ai pas beaucoup de mérite, la lecture était passionnante !
      Qu'on en sorte vivants, ce sera déjà bien : ni covid, ni meurtres ! 😀

  • Viviane

    L’adaptation en film est également ben réussie, bien que le réalisateur ait fait le choix d’introduire un second personnage.

    • Petitsruisseauxgrandesrivières

      et il m’a semblé aussi que le climat n’était pas très sibérien, il est en doudoune Aigle, un peu juste par -30°C 😀 mais c’est Raphaël Personnaz, alors on supportera bien quelques libertés avec le roman d’origine !

  • lexieswing

    Je suis en train de lire un extrait sur Kobo, je trouve que « membre de la société des explorateurs » est probablement la mention la plus cool que tu puisses avoir sur un CV 😉

    • Petitsruisseauxgrandesrivières

      C’est vrai que c’est plus sexy que la ligne « loisirs : shopping, maquillage, mode » que je vois parfois 😀

  • Carine

    Salut, merci pour ton partage. Je l’aime bien le Sylvain moi, il est assez mystérieux et énigmatique et c’est un de mes héros de jeunesse. Il a également fait le tour du monde en vélo. Moi qui aime beaucoup la montagne et être dehors il m’a clairement inspirée. A bientôt !

    • Petitsruisseauxgrandesrivières

      Oui, j’aime bien ce genre de gars assez absolu et capable de ce type de choix !

  • Maman Lempicka

    Je reviens commenter, j’ai un peu plus de temps. Je me demandais hier si ce que tu décris dans l’article n’est pas la nature profonde et originelle de l’homme, dévoyée par nos modes de vie actuels.

    • Petitsruisseauxgrandesrivières

      Mais ma chère, c’est exactement ce qu’il développe dans son roman. J’ai fait un résumé vite fait, il est clairement question de la relation de l’homme à son environnement, c’est aussi pour cela que ce roman résonne fortement en cette période de coronavirus. Hier soir également sur je ne sais plus quelle chaine (3, 5 ou ARTE je suppose) il y avait un documentaire de Yann Arthus-Bertrand, totalement incroyable sur les aberrations écologiques, dont une plateforme de containers à Shanghaï totalement inhumaine et absurde, à revoir si tu peux… Pas très réconfortant, mais lucide.

    • Maman Lempicka

      Oui c’est un choix de livre qui éclaire la situation actuelle, tu as bien fait de nous en parler. Pour les aberrations écologiques j’ai vu des tonnes de reportages de ce type et j’avoue que j’en sors totalement déprimée à chaque fois, en me demandant pourquoi j’ai fait des gosses 😢

    • Petitsruisseauxgrandesrivières

      oui ça nous a fait le même effet… dur d’accepter de regarder la réalité en face quand elle n’est pas joyeuse !

Je suis sûre que tu as plein de choses à me dire :

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