Voyage au bout du monde : La pointe des Poulains.
Je vous ai laissés frémissants d’impatience et scandant mon nom, debout sur vos sièges et tapant des mains en cadence pour me supplier de vous raconter la suite de nos aventures à Belle-Île-en-Mer. Voilà, chut, je ne vais pas vous laisser mariner plus avant. Asseyez-vous et ouvrez grand vos petites esgourdes. Comme vous me le demandez, sachez que j’ai gagné la partie de scrabble que j’évoquais à la fin de l’article précédent (398 à 184, un massacre).
La pointe des Poulains
En repartant du Palais (lire ici et là les épisodes précédents de nos tribulations armoricaines), une côte bien raide nous attendait. Belle-Île est un haut plateau. C’est là que nous appréciâmes l’assistance électrique de nos vélos. Mon fourbe de mari (on peut être généreux, mais fourbe), l’ayant enclenchée au maximum, me dépassa, mains dans les poches, et sifflotant tranquillement. Pour ma part, ma musculature récemment acquise en piscine m’a permis de me contenter de l’assistance minimum. Voilà, je me suis vantée et j’ai critiqué un peu mon cher et tendre, je peux continuer à vous instruire.
Nous repartîmes donc au milieu de la lande dorée par les ajoncs, pour gagner les falaises de schiste qui surplombent l’océan. Notre destination était la pointe des Poulains. Non pas que l’on y élève de mignons bébés chevaux, non, pas du tout. Les Poulains, en Breton Beg-er-Bolenn, (oui, j’ai fait breton deuxième langue) signifie « la pointe des roches isolées » et désigne les rochers aigus contre lesquels les flots se brisent. Il existait au Moyen-Âge un îlot supplémentaire qui tel l’Atlantide a été englouti par les flots, signe de l’érosion très active subie par ce paysage. Les Poulains ne sont d’ailleurs reliés à l’île, à marée basse, que par une petite bande de sable qui porte le joli nom de tombolo (je vous fais profiter de ma culture tant qu’elle est encore fraîche). Comment ne pas succomber à la beauté des Poulains ? La brise fait frissonner les milliers de petites têtes mauves d’arméries qui recouvrent la lande sur laquelle est érigé le phare.
Les Poulains sont encore plus spectaculaires par temps de vent, mais bien que nous y soyons allés par marée de faible coefficient, c’était déjà très impressionnant. Nous sommes restés longtemps assis à contempler le spectacle hypnotisant du roulis et des ressacs des vagues venant s’écraser sur les falaises. Aux Poulains, j’ai pris conscience de manière aiguë de mon insignifiance face à la nature sauvage. En même temps, méditer face aux flots déchaînés me fait toujours me sentir plus intelligente, je ne sais pourquoi. Sans doute par une sorte d’imprégnation romantique, j’ai le sentiment que les bourrasques de vent ramènent en moi les esprits de Shakespeare et Chateaubriand. Bref.
Les Poulains de Sarah Bernhardt
Il se trouve que d’autres sont avant nous tombés amoureux des Poulains, parmi lesquels Sarah Bernhardt. Elle y racheta un petit fort abandonné, et y bâtit 2 habitations supplémentaires pour sa famille et ses proches amis (sympa la copine). Elle n’avait pas mauvais goût la bougresse, et sa salle à manger donnait directement sur le phare que vous voyez sur la photo ci-dessous. C’est mieux que la vue depuis la Courneuve. Sarah (nous sommes désormais intimes, elle et moi) y passa tous ses étés durant 30 ans, pêchant la palourde et taquinant le maquereau en compagnie de ses deux petites-filles, et faisant profiter de ses largesses les Bellilois, entre deux tournées internationales et trois coups d’éclat dans la presse. Car elle s’y entendait comme personne, Sarah, pour faire le buzz et revenir sous la lumière des projecteurs, en se faisant photographier endormie dans un cercueil douillet, ou en entretenant le suspense sur l’identité de son amant du moment.
Comme c’était un diva un brin mégalo, elle avait émis le souhait de se faire enterrer dans un sarcophage au sommet d’un des rochers des Poulains (celui sur la photo en dessous) mais voilà : elle avait claqué tout son fric, il ne lui restait pas un radis, et elle a du vendre sa propriété. Les propriétaires suivants n’ont pas souhaité avoir sa tombe sous les yeux pendant le petit-déjeuner dès qu’ils ouvraient leur volets le matin. Les sales chiens galeux. Bref, Sarah est au Père-Lachaise comme tout le monde, et c’est bien mieux comme cela, sinon la pointe des Poulains deviendrait un lieu de pèlerinage comme Saint-Barth avec la tombe de Johnny, et au lieu des vagues et des goélands, nous verrions des bougies, des coeurs et des fleurs artificielles par monceaux. De quoi en recracher son chouchen.
Un jour, je reviendrai aux Poulains durant une grande marée d’hiver, pour apercevoir les vagues furieuses qui jaillissent plus haut que les falaises. Belle-Île-en-Mer la sauvage, Rome la douce et Bruges la fière, sont les Trois Grâces des destinations romantiques, qui toutes trois méritent la pomme d’or de la beauté.
Photo d’en-tête : Le remplissage de l’en-tête est « Tempête sur le phare des Poulains », par Philip Plisson www.plisson.com
19 commentaires
Bébé est Arrivé !
LOL Tu m’as bien fait rire avec ton histoire sur Sarah Bernardt ! J’adore lire ou entendre ce genre de récit 🙂
petitsruisseauxgrandesrivieres
Cette femme a un parcours incroyable ! Ce serait une vraie star de nos jours, style Oprah Winfrey mais au théâtre 😊
Merci de ton commentaire Cécilia, bonne journée
elle a 40 ans
Mes mains en feu d avoir tambouriné d impatience te disent merci pour cette suite. En plus j ai appris plein de trucs ! Bonne journée.
petitsruisseauxgrandesrivieres
Avec plaisir ! J’espère n’avoir pas trop saoulé mes lecteurs avec Belle-Île-en-Mer, mais c’est un endroit tellement magique que je ne pouvais pas m’empêcher de m’étendre un peu. Tu vois ce que tu peux visiter cet été quand tu rentres !
elle a 40 ans
Merci pour cette ballade et cette bonne idée.
oth67
Il n’y a pas un « siège » taillé dans la roche où elle aimait contempler la mer ?
petitsruisseauxgrandesrivieres
tout à fait ! mais je ne l’ai pas vu car il n’est pas situé à un endroit très accessible.
Maman Lempicka
Entre petites anecdotes et description des merveilles sauvages bretonnes, cet article fut à la hauteur de mon impatience frénétique!
petitsruisseauxgrandesrivieres
J’attends avec avidité tes souvenirs des Pouilles !
Boots And Pepper
Tu es faite pour les guides touristiques ! Heureuse d’en apprendre un peu plus sur mon homonyme… Il m’aura fallu quelques années avant de comprendre que « Bernard » n’était pas mon 2ème prénom, mais passons ;).
petitsruisseauxgrandesrivieres
Je suis impatiente de t’entendre déclamer avec emphase et de te voir sur les planches !
Boots And Pepper
T’es dispo pour la prochaine kermesse de l’école ? 😀
petitsruisseauxgrandesrivieres
je prends mes billets de TGV !
GToch
Bon ben merci…
Il ne reste plus qu’à pleurer d’impatience de pouvoir quitter pour qq jour mon hameau bourguignon 😀
Surtout repars quand tu veux pour tout nous raconter c’était délectable ♡
petitsruisseauxgrandesrivieres
Patience, Toussaint n’a jamais été aussi proche 😉
Je me réjouis pour toi de ce moment bien mérité ! La Bourgogne, c’est beau, mais c’est comme la mousse au chocolat quand on en mange tous les jours : on a envie de goûter autre chose. Tu sais où vous irez ?
GToch
Nous voulions Rome mais la date **Toussaint un peu tendu là bas ;)** et la logistique ont eu raison de mon envie.
Du coup ce sera Amsterdam. J’y suis déjà allée mais pas monsieur. Je suis en pleine prospection surtout pour pouvoir caser notre voiture en arrivant 😉
Après nous ne sommes pas bourguignons donc nous avons encore beaucoup de choses à découvrir ici aussi mais toujours avec les 4 Pilous en fond sonor ♡
Madame Bobette
Ma soif d’apprendre et mon impatience ont été comblés par cet article! Merci pour cet anecdote… J’adore ce genre d’histoire!
Petitsruisseauxgrandesrivières
Merci à toi de l’avoir lu ! C’est un endroit magique et grandiose, n’hésite pas à y aller pour un week-end prolongé. Il y a plein de locations de vacances là-bas !
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