
Merveilleux réseaux sociaux
Je vous avais promis de revenir vous parler des à-côtés de l’exposition médiatique. Déjà, calmons-nous : je n’ai pas besoin de garde du corps, des gens hystériques ne campent pas sur mon trottoir, je ne suis pas reconnue dans la rue, et ce sans avoir besoin de lunettes de soleil (grâce à un anti-look soigneusement travaillé chaque matin), on ne me supplie pas pour avoir un autographe.
Comme vous le savez, le corollaire de l’exposition sur les réseaux sociaux est son inséparable lot de critiques, commentaires perfides, outrance grotesque, et personnes qui savent mieux que toi-même sur n’importe quel sujet, même si elles n’y connaissent rien : experts en géopolitique du Moyen-Orient le lundi, en économie internationale le mardi, en philosophie comparée des religions le mercredi, en psychologie de l’enfant le jeudi, en médecine le vendredi, en physique quantique le samedi, et en paléo-ethnologie le dimanche. Ben ouais, ils et elles savent tout sur tout, et ont un avis sur tout, lestés du poids solide des connaissances qu’ils ont acquises en lisant des résumés de 3 lignes sur une problématique donnée. Ce qu’ils ne savent pas, ils l’inventent.
Un peu de contexte.
J’ai réalisé dans le cadre de la promo du livre, une pastille vidéo pour Magic Maman. C’était ma première. La journaliste et le cadreur sont très sympas, me mettent à l’aise, et c’est parti pour le tournage.
Même si ça n’a l’air de rien à première vue, c’est un exercice très difficile, pour plusieurs raisons :
Il faut parler à un téléphone portable en le regardant dans les yeux
Les séquences sont très courtes, donc on ne peut pas vraiment développer, nuancer, réfléchir, lever les yeux au ciel. La réponse doit être énoncée en 30 secondes max.
Les questions ne sont pas connues à l’avance, donc c’est de l’impro (c’est le but, il faut sembler naturelle) mais c’est de l’impro travaillée.
Je n’ai pas la main sur le montage, et en particulier sur l’accroche, c’est le jeu.
La petite vidéo a ensuite été diffusée, vous pouvez la voir là. Elle a ensuite été partagée sur les réseaux sociaux, en particulier Facebook, sur lequel traînent tout un ramassis de mangemorts prêts à en découdre avec la terre entière pour se venger de toutes les frustrations de leur vie.
Comme vous le voyez, l’accroche utilisée porte sur le fait qu’on peut boire occasionnellement une gorgée d’alcool en allaitant, sans risque pour le bébé. Propos que je réitère ici : oui, vous pouvez boire une gorgée de vin occasionnelle quand vous allaitez, cela n’aura pas d’impact sur votre bébé, littérature scientifique à l’appui. Cela ne veut pas dire, naturellement, qu’il faut boire comme un trou, ni tous les jours. (Il va de soi que j’ai également consacré 2 chapitres au fait qu’il ne fallait pas boire du tout durant la grossesse, et diminuer drastiquement sa consommation d’alcool durant la période de conception). Malgré tout, cela a déclenché l’ire des mères parfaites, toujours promptes à montrer les crocs aux femmes qui n’entendent point rentrer en maternité comme on entrait autrefois en religion.
Je passe sur celles qui ont aboyé tout en vomissant « Nan mais elle est foooolle, c’est hyper dangereux pour le foetus l’alcool ! », montrant leur tragique incapacité à se concentrer les quelques secondes nécessaires pour comprendre que je parle explicitement d’allaitement et non de grossesse. J’ouvre ici une parenthèse : est-ce que vraiment la population est massivement devenue d’une paresse intellectuelle crasse, au point qu’écouter une phrase de 30 secondes en entier devient trop coûteux ?
Voici donc un petit florilège des pires commentaires postés sous cette vidéo :
C’est peu de dire que Facebook ne montre pas le visage le plus aimable de l’humanité, ni le plus nuancé, ni le plus intelligent. C’est le réseau social qui semble le plus induire une désinhibition totale dans les propos, sur lequel tout le monde se sent légitime à balancer tout ce qui lui sort par la tête, et où beaucoup se transforment en roquets hargneux qui attaquent au mollet et ne lâchent jamais, même quand ils ont tort.
En revanche, il y a ces commentaires, qui posent un débat intéressant : faut-il prendre les gens pour des cons ou pas ? Faut-il partir du principe qu’une masse intellectuellement peu favorisée, se servira de mes propos comme prétexte pour se murger la gueule tout en allaitant ? Cela revient à faire sienne la citation des Inconnus, « Il ne faut jamais prendre les gens pour des cons, mais il ne faut pas oublier qu’ils le sont. »
Mon parti pris est que non. Je conçois la critique : on ne sait jamais comment un message peut être reçu et interprété, et en effet, un courte vidéo est, par définition, courte et non exhaustive. Mais je n’ai pas encore trouvé la solution pour résumer en 3 mots un chapitre entier en y incluant l’intégralité de nuances et références.
Malgré cela, je ne pense pas que dissimuler des informations exactes aux gens sous prétexte qu’ils pourraient mal les comprendre soit pertinent. Et c’est surtout extrêmement méprisant – classiste comme on dit de nos jours. Faut-il vraiment mentir au gens ou exagérer pour leur bien ?
Par ailleurs, pour une personne qui a pour habitude quotidienne de consommer de l’alcool, grossesse ou non, allaitement ou non, je doute que ma vidéo fasse une grande différence, ni même qu’elle la regarde. Ce serait me donner beaucoup trop d’importance que de croire le contraire.
Enfin, ce qui m’épate à chaque fois, c’est de constater à quel point les contenus sur l’allaitement génèrent des débats absolument passionnels. Convaincre une croisée de l’allaitement que ce qu’elle dit est faux scientifiquement parlant et n’a aucune base réelle autre que ses croyances, est aussi aisé que de déradicaliser un membre de Daesh. On a beau lui coller sous le nez des données issues d’études solides, nombreuses, statistiquement fiables, rien n’y fait : elle n’en démordra pas. J’avoue que cela me stupéfie toujours autant, au bout de 8 ans de présence sur les réseaux sociaux.
Cela me questionne aussi sur ce que ces femmes ont projeté et investi dans l’allaitement, qui n’est après tout qu’un mode d’alimentation du nourrisson. Les parents qui nourrissent leur bébé au biberon l’embrassent, lui font des câlins, le massent, le bercent, se sacrifient pour lui, lui consacrent du temps, bref : ils l’aiment aussi (si si). Mais quand on les lit… on a l’impression que non.
L’hypothèse sur laquelle nous penchons, avec mes acolytes du Collectif A!C, est que, pour les plus hargneuses d’entre elles, elles en ont tellement bavé qu’elles ne supportent pas que d’autres s’en sortent avec plus de facilité, moins de dette de sommeil, de mastites et de crevasses au sein, et un bébé tout aussi épanoui et en bonne santé. Elles aimeraient bien entraîner les autres dans leur sacrifice -pas forcément très utile – sans fin, histoire de ne pas être les seules à souffrir. Ou alors, elles ne se sentent exister qu’en temps que mère, n’ayant pas vraiment trouvé leur place de femme, de professionnelle, d’amie, ou que sais-je…
Notez bien que je trouve super d’allaiter, du moment qu’on le fait parce que ça convient à la maman autant qu’au bébé, et qu’on respecte les choix des autres. Mais pourquoi tant de haine ?
Au final, même si ce genre de commentaires est déplaisant et qu’ils peuvent provoquer un inconfort passager, je m’en remets facilement parce que je prends assez vite la sage décision de ne plus les lire ni y répondre. Mais plus largement, cela interroge vraiment sur le fait de laisser des adolescents, dont l’estime de soi est si fragile, avoir libre accès à cette cour des miracles traversée de balles perdues.
Voilà pour les réflexions suscitées par cette petite expérience très formatrice, que j’aborderais sûrement avec davantage de précautions si elle venait à se renouveler.

4 commentaires
Béatrice de Sainte Marie
La connerie et la méchanceté humaine sont abyssales..Je me demande parfois si certains points de vue et surtout certaines personnes ou commentaires sur les réseaux sociaux sur une multitude de sujets, ne sont pas en train de rejoindre l’état d’esprit du monde politique au galop:
Beaucoup de personnes aboient plus fort, écrasent l’autre.
On est soit disant dans un monde de communication. C’est vrai et c’est faux à la fois: les technologies pour communiquer sont extraordinaire mais le dialogue n’existe quasiment plus : j’entends par là écouter l’autre avec respect même si on n’a pas le même point de vue.
Petitsruisseauxgrandesrivières
Et aussi ce qui est assez saisissant, c’est l’incapacité de beaucoup à clore le débat. Au bout d’un moment on peut admettre qu’on ne tombera pas d’accord, et tant pis. Mais s’entêter à vouloir prouver par tous les moyens que l’autre en face a tort ? je ne comprends pas l’intérêt.
archimi
Merci pour le post vraiment intéressant. Qui m’évoque directement le cas d’une amie à moi: c’est une ayatollah de l’allaitement (allaitement long de surcroit) mais elle a un problème avec l’alcool. Elle a a peu près réussi à ne pas boire pendant sa grossesse. Mais pendant l’allaitement, les recommandations étant moins sévères, elle trouvait toujours des petits arrangements: dés que son bébé avait tété, elle se précipitait sur l’alcool parce que « 3 heures après ça ne passe plus dans le lait », et évidemment comme elle était en manque, elle buvait vite et trop, avec les conséquence qu’on peut imaginer et elle finissait immanquablement par allaiter son bébé un peu (ou très) éméchée. Et mon amie, elle est instit’, c’est pas une cas soc’ hein. Alors dans le même sens que les commentaires, j’aurais tendance à dire qu’il vaut mieux avoir un discours tolérance zéro quand il concerne de potentiels problèmes d’addiction, parce que bien plus de personnes qu’on ne le pense, ont un problème avec l’alcool. J’aimerais mieux qu’on dise à ces mères-là: tu seras une meilleure mère si tu donnes un biberon à ton bébé plutôt si tu l’allaites avec un coup dans le nez.
Petitsruisseauxgrandesrivières
Merci pour ce témoignage très éclairant. C’est un vrai débat. Sans doute que votre amie n’aurait pas allaité si elle avait eu une interdiction totale d’alcool durant l’allaitement, sans doute que si quand même… C’est compliqué de déterminer s’il vaut mieux pencher vers l’infantilisation totale (et j’en comprends bien les raisons) avec le danger de culpabiliser et angoisser toutes celles qui boivent une gorgée de temps à autre (celles à qui s’adresse mon chapitre, en réalité) ou alors privilégier l’information objective et le libre arbitre avec le risque d’être instrumentalisée.
Je relève également le fait que les femmes qui fument sont invitées à arrêter ou diminuer leur consommation de tabac durant la grossesse, mais que le sevrage total n’est pas forcément conseillé chez les grosses fumeuses car très stressant. Les discours peuvent donc aussi varier selon l’addiction.